A force d'oublier.
- Benoit Poisson
- 16 oct. 2019
- 2 min de lecture
Il se refuse à lancer un oreiller, maintenant il lit son journal. Sans savoir vraiment comment il en est arrivé là, il mouille sa nuque avant d’entrer dans l’eau fraîche. Il paraît que c'est comme ça qu'on doit faire. Tous les matins il s’en va passer sa journée cloîtré dans son bureau perché. Le soir, blasé, il allume la télé. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est pas allongé par terre, il ne compte plus les ronds sur les ailes des coccinelles. Son imaginaire c’est les courbes de la bourse, le grand huit c’est fini. Crier en levant les bras quand on a plus de voix, juste l’anonymat de la fougue étouffée. Il court de réunions en congrès sans plus jamais prendre le temps de jouer. Il n’y a plus de cabane dans sa chambre, son loisir c’est les lumières blafardes des centres commerciaux du samedi. Jouer à se faire peur pour prouver qu’il est fort et rire. Tout ça c’est terriblement loin, du temps de l’imaginaire, du temps des possibles. Passer des passions à la contrition. Maintenant docile, perdu le temps des genoux écorchés et du souffle coupé. Il range sa vie comme il classe ses dossiers. Cicatriser ses envies pour vivre la grisaille des rêves engloutis. Finit le tournis des balançoires, il traîne son ombre usée d’espoirs. Il n’y a plus la folie des grands soirs, remplacée par des habitudes rassurantes mais tellement liberticides. Il gomme ses ratures comme on hypothèque son futur, plus d’étincelles, finit la vivacité. Il y a bien longtemps qu’il ne voit plus les étoiles sous les spots de son plafond.
Il s’en était fait des promesses de liberté, refusant de devenir aussi fade qu’un adulte, se tenir loin du tumulte des imbéciles. Feu les rêves d’envol d’hirondelles et d’îles lointaines.
Que c’est triste de grandir.

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