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A force de les croire, on ne s'aime plus.

  • Photo du rédacteur: Benoit Poisson
    Benoit Poisson
  • 27 oct. 2019
  • 3 min de lecture

Les deux pieds bien écartés pour rester en appui du mieux que je peux. Faut dire que ça tangue pas mal, surtout dans les virages et quand le métro freine ou redémarre. Je divague, sans pensée dans ma tête, je regarde sans voir mes compagnons de voyage. On partage la rame, on est chanceux, malgré l’heure de pointe, on arrive encore à respirer confortablement, on pourrait même parler de luxe tant on pourrait se gratter le nez sans bousculer son voisin. Ça secoue, ça vibre, ça claque de toute part, des bruits stridents à chaque virage. Personne n’y prête attention, tous plongés dans leur bouquin ou dans l’écran de leur téléphone, tous dans leurs habitudes. Pourtant rouler à 70 kilomètres-heure dix mètres sous terre en frôlant des murs vieux de plus d’un siècle ça n’a rien de naturel et encore moins de rassurant. À chaque station, on a le droit au balai des sortants et des entrants, de nouveaux visages à regarder, une nouvelle prière silencieuse pour garder inviolé son espace vital. C’est l’heure de la sortie des écoles, une femme entre avec ses deux enfants, les gens s’écartent volontiers pour laisser la petite famille prendre ses aises. Les petits sont un peu agités, heureux de rentrer chez eux, la mère est calme, souriante et bienveillante. Le petit garçon tente une sorte de pirouette et bouscule une dame assise juste derrière lui. Aussitôt rappelé à l’ordre par sa mère, le garçonnet s’immobilise et naturellement présente ses excuses à la dame bousculée. Je souris de la scène et je m’étonne de ma pensée réac, tout n’est pas perdu dans ce monde. À la station suivante, la dame sort en souriant au petit garçon qui lui rend son sourire. Un homme entre, livre sacré en main, plongé dans sa lecture religieuse il n’a pas remarqué qu’il se tenait juste en face de la femme et de ses deux enfants. Je me tiens éloigné autant que possible du fait religieux mais je n’ai aucun mal à comprendre que cet homme est juif, la forme de son chapeau, la taille de sa barbe et ses papillotes ne laissent aucune place au doute. Tout comme je sais que la femme qui se tient debout encadrée par ses deux enfants est musulmane, son hijab en atteste. À la faveur d’une secousse un peu plus forte que les autres, l’homme relève la tête et regarde la femme ainsi que ses deux enfants.

Dans ma campagne natale, je n’ai jamais été confronté au pluralisme, seule la couleur des tracteurs et des vaches changeait au gré des fermes. Un terroir blanc et catholique et la méfiance de l’inconnu, pire de l’étranger. On ne naît pas raciste et ma première expérience avec cette notion m’a marqué à vie. Je devais avoir environ huit ans, je suivais un match de la coupe du monde de football à la télévision, deux équipes africaines s’affrontaient. Pour s’intéresser à ce que je faisais, ma mère m’avait demandé, de la pièce voisine, si le match était intéressant et qu’elle équipe menait au score. Comme réponse et avec une totale innocence, j’avais répondu que je n’arrivais pas à savoir parce qu’ils étaient tous noirs sur le terrain. J’avais vu ma mère rappliquer, le regard triste et furieux à la fois, ce regard je ne l’ai jamais oublié, ça devait être de la déception. Elle m’avait bien fait comprendre qu’un homme était un homme, peu importait la couleur de sa peau ou sa religion. D’ordinaire lorsque je faisais ou disais une bêtise j’avais droit à une petite claque sur l’épaule pour me remettre en place. Cette fois-ci je n’avais rien eu, juste des mots et c’est aussi pour ça que cette scène est restée en moi. Dès ce jour j’ai compris avec fierté que jamais je n’éprouverais de la haine dans la différence de l’autre.

Ça se balance toujours dans la rame, l’homme sourit à la femme juste en face de lui et pose une main affectueuse et protectrice sur la tête de chaque enfant. La femme lui rend son sourire et les enfants se moquent totalement de la situation. On nous habitue tellement à nous montrer la haine, on s’applique tellement à démontrer les différences de chacun qu’il nous arrive de douter de nos propres convictions. Emu par cette scène pourtant si ordinaire, je me suis promis de ne plus jamais douter. L’extrême majorité des Hommes cohabite en totale harmonie en respectant l’autre et ses différences. La fin du trajet a été particulièrement agréable. Je fais confiance en l’humain du quotidien et pas au microcosme des soi-disant penseurs qui se masturbent l’esprit durant leurs débats stériles qui ne concernent qu’eux.


 
 
 

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