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Abyssale

  • Photo du rédacteur: Benoit Poisson
    Benoit Poisson
  • 8 nov. 2020
  • 6 min de lecture

Nous sommes partis à la rencontre de Florent (le nom a été volontairement changé pour préserver son anonymat). Florent avait tout pour lui, une femme et un fils aimants, un emploi d’aide-comptable à la COGIP et un joli pavillon Catherine Mamet dont il restait 18 ans de crédit à rembourser. A presque 38 ans, tout lui souriait et il n’était pas rare que Florent s’autofélicite pour son brillant parcours de vie. Mais il en va de la vie comme d’une course automobile, un petit gravier sur le bitume et c’est la sortie de piste. Florent se souvient encore de ce terrible mardi 17 mars. Il témoigne la voix tremblotante :


« Je me rappelle parfaitement cette journée. Comme tous les jours j’avais quitté la boîte à 18 heures, j’avais environ 20 minutes de voiture jusqu’à la maison. Concentré sur la route, je n’avais pas mis la radio, j’avais un mal de tête assez fort. Il faut dire que nous étions en train de changer notre logiciel de comptabilité et l’adaptation n’était pas simple. Je sortais de 4 heures de formation intense et je pensais que ma tête allait exploser. »


Le souvenir encore vif, Florent prend son temps pour nous dérouler les faits, les yeux brillants de chagrin, il a du mal à se retenir. Nous lui proposons de faire une pause, il insiste pour continuer. Il s’est fait une promesse, son témoignage doit servir aux autres, son exemple peut sauver d’autres personnes.


« Lorsque je suis entré, la maison était calme. Mon fils était à l’étage en train de faire ses devoirs. Je me rappelle avoir soupiré car j’entendais sa musique, il mettait toujours ces horribles chansons de rap français quand il travaillait. Ma femme était dans la chambre d’amis au rez-de-chaussée qu’elle avait transformée en atelier de peinture. Elle y passait toutes ses journées et je dois admettre qu’elle était plutôt douée. Je n’aimais pas la déranger durant ces périodes de création. Je m’étais contenté d’avaler un comprimé pour ma tête et je m’étais allongé sur le canapé pour faire passer le mal. Je n’avais même pas eu la force de lire comme je le faisais chaque soir en rentrant. Et puis, je me suis assoupi un peu. A mon réveil, ma tête me faisait déjà moins souffrir et c’est là que tout a dérapé… »


Nous voyons clairement que Florent n’arrive plus à réprimer ses larmes, nous attendons pudiquement qu’il se reprenne.


« J’ai… j’ai pris la télécommande de la télé et je l’ai allumé… C’est une chose que je ne faisais jamais mais je me sentais fatigué et je n’avais envie de rien. J’ai commencé à zapper lentement et puis je suis tombé sur une émission sur la 8 où le présentateur s’agitait dans tous les sens en se moquant d’autres personnes assises derrière une sorte de comptoir et puis un homme est entré sur le plateau juste habillé d’un slip en forme de tête d’éléphant, il s’est mis à chanter une chanson de Carlos en jetant de la farine sur les gens. Tout le monde riait et le présentateur essayait le lui retirer son slip. Après un instant de sidération, je dois avouer que j’ai trouvé ça drôle. »


Cette fois-ci Florent fond en larmes, il se retourne pour nous cacher sa douleur. Nous ne comprenons pas comment a-t-il pu en arriver là, si vite !


Ce fut l’élément déclencheur pour Florent. Le point de départ d’une chute abyssale dont il peine encore à se relever aujourd’hui.


« J’étais honteux mais j’avais cette irrépressible envie de continuer à regarder et à rigoler. Lorsque j’ai entendu ma femme arriver dans le salon j’ai immédiatement éteint la télé, aussi vite qu’un adolescent qui regarde un porno. Plus tard, alors que nous étions en train de dîner, j’ai tendu mon doigt vers mon fils en lui demandant de tirer dessus. Je… Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, il me semblait que c’était drôle et lorsqu’il a tiré dessus j’ai lâché un pet un peu gras. Ils ont tous les deux été surpris et je me suis mis à rire en lui disant qu’il ne l’avait pas volé celui-là. C’est à partir de cet instant que tout s’est accéléré et je ne maitrisais plus rien, j’avais ouvert la boîte de Pandore et j’ai pris un aller sans retour pour l’enfer. J’ai commencé par m’acheter un survêtement et des chaussettes de sport blanches. Lorsque je ne travaillais pas je traînais en survet’ et en claquette Adidas et puis un samedi je suis allé à Norauto pour acheter 4 nouvelles jantes pour ma voiture. Je suis ressorti de là avec des néons à fixer sous la voiture et un arbre magique fraicheur des Landes accroché au rétroviseur. Je basculais inexorablement dans des abysses inconnus et je ne voyais même pas ma femme et mon fils, incrédules, s’éloigner de moi. Ensuite j’ai commencé à m’intéresser au foot, j’adorai boire des panachés en supportant l’équipe de Sochaux à la télé. Le dernier album de Patrick Sébastien était devenu l’incontournable de ma discothèque. Ma femme allait désormais seule au musée et au théâtre et mon fils se plongeait de plus belle dans sa passion pour le slam et la poésie, une bonne activité de tafiole je pensais ! Et lorsque je me levais du canapé en me replaçant les parties et en demandant ce qu’il y avait à grailler, j’avais juste droit à un silence et un regard réprobateur de ma femme. Physiquement aussi je me suis transformé, je n’avais plus le temps pour nos séances de sport avec ma femme, le panaché et les cacahuètes me faisaient pousser le ventre et mes cheveux commençaient sérieusement à pousser sur ma nuque. Je ne cherchais même plus à m’informer, je me contentais simplement de regarder BFM entre deux téléréalités et à gueuler sur le canap’ que toute cette merde en France c’était à cause de la recrudescence ! Tous les mêmes ces bons à rien, z’ont cas pas venir chez nous ! Je passais mes week ends devant la télé, tout y passait : téléfoot, turbo, des replay sur NRJ 12, des séries comme Joséphine ange gardien ou Plus belle la vie et je me mettais à tondre la pelouse juste avant l’interdiction de 19 heures, juste pour faire chier les voisins. Je me suis, peu à peu, débarrassé de tous mes livres, mes romans, mes livres sur la photographie, sur les explorations terrestres, tout ça ne me servait plus à rien. J’avais une opinion sur tout sans même savoir quoi que ce soit.»


Florent se permet une pause pour prendre un verre d’eau. Nous sommes sidérés d’une telle descente si rapide vers la beaufitude.


« Elle a été patiente ma femme, plusieurs fois elle a tenté de m’ouvrir les yeux, de me traîner dans ses expos et ces vernissages de peinture. Mais non, ça me demandait trop d’efforts et puis franchement c’était d’un ennui profond tous ces gens qui veulent s’instruire. A quoi ça leur sert ? Elle a fini par craquer le jour où je lui ai dit que j’avais réservé 15 jours en août au camping à Argeles sur Mer. Je lui ai même montré la brochure, il y avait tout un tas d’activités, des soirées dansantes, des soirées mousses, des tournois de pétanque et même un mini-golf ! Le paradis au camping… Elle m’a jeté la brochure à la gueule et sans explication, a fait sa valise, pris notre fils avec elle et est partie chez ses parents. »


Ce témoignage nous glace le sang, la rapidité avec laquelle tout a basculé nous sidère. Florent est fort, il se contient pour ne pas exploser de rage et de chagrin, nous voyons bien qu’il est rempli de remords et se sent impardonnable. Mais aujourd’hui il remonte peu à peu la pente.


« Ce n’est pas facile mais j’essaye d’effacer toute cette maudite période. Je le fait pour ma femme et mon fils, j’ai envie de voir de la fierté dans leurs yeux. J’ai arrêté tout ça, résilié mes abonnements à Bein et RMC sport, j’ai brûlé mes survêtements et je ne suis même pas parti au camping. Je me suis remis à lire un peu, j’écoute presque tous les jours France Inter, j’achète Télérama et la seule séance de télé que je m’autorise c’est pour regarder Quotidien. Je suis devenu vegan et je milite pour le bien-être animal et j’ai découvert un marché bio à côté de chez moi où je vais faire mes courses tous les samedis. J’ai revendu ma voiture à un jeune permis et j’ai acheté une hybride. Toutes mes mauvaises habitudes je tente de les gommer même s’il m’arrive encore d’éprouver de la fierté lorsque je lâche un gros pet. Mon rêve aujourd’hui ? Retourner au musée avec ma femme et pouvoir réécouter ce maudit rap français lorsque je rentre du travail. »


Florent est passé du beauf au bobo-gaucho. Il explore tous les abysses possibles. Espérons qu’il trouve sa voie rapidement et prenne conscience qu’un juste milieu est possible ! Bonne chance Florent.



 
 
 

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