D'El camino à Glasgow
- Benoit Poisson
- 12 oct. 2019
- 4 min de lecture
Minuit quatre… La tête enfarinée collée sur un cousin de mon canapé. Faut que je me force à ouvrir les yeux, à comprendre ce que je fous là, allongé dans mon salon. Une fois de plus je me suis endormi avant d’avoir eu la force de me trainer jusqu’à mon lit. Netflix diffuse des bandes annonces de séries, c’est agressif. Toutes ces images colorées à vous rendre épileptique qui défilent vite et moi qui émerge doucement et qui prend de plus en plus de temps pour remettre les éléments à leurs places. Il y a deux cadavres de bouteille de bière sur la table basse. Putain, juste deux bouteilles, je commence à me faire vieux. On est loin de la candeur des soirées de beuverie de mes vingt ans. Je fais un bruit de succion quand je passe ma langue sur mes dents. J’ai soif. Je ferme les yeux quand je me redresse doucement, mon cou me fait mal, la position n’était pas idéale pour un début de nuit. Ça y est, ça me revient doucement. Depuis des mois que j’attendais ça. Presque excité d’être enfin le jour j ! Netflix nous avait pondu un long métrage sur la suite de Breaking Bad, ça s’annonçait grandiose. Apparemment ça ne l’était pas. Faudra certainement que je le regarde à nouveau et espérer passer les vingt premières minutes sans sombrer dans le sommeil. Je n’ai même pas la force de me lever pour aller me coucher, paradoxe total. Je baisse les yeux, la lumière de la télé est trop forte. Je savais que j’aurai dû prendre un bon livre pour passer une bonne soirée. Ça m’apprendra à succomber aux sirènes de la facilité médiatique et divertissante. J’ai un vieux reflex d’homo sapiens du vingt et unième siècle, je saisi mes deux télécommandes, l’une pour éteindre Netflix et changer la source de ma télévision et l’autre qui gère la boxe internet. Faut être ingénieur pour apprivoiser toutes ces touches. Un parfait funambule noctambule, je fais la procédure sans même regarder. Mes yeux s’habituent lentement à la luminosité, je commence à émerger, prêt à ingérer ce que la télé a de mieux à m’offrir à cette heure-ci. Sur l’écran, je vois deux motards de la police poursuivre une voiture qui refuse de s’arrêter. Décidément, ils n’ont pas beaucoup d’imagination ces créateurs de programmes, toujours les même sujets : l’A7, entre vitesse, alcool et trafic, découvrez l’autoroute de tous les dangers… sinon on a le droit aux putes de Caracas, une enquête poignante sur la prostitution vénézuélienne présentée par un type avec la mèche impeccable. Ça ne laisse pas le choix si on veut laisser le poste allumé. Je me décide à appuyer sur la touche une et la touche cinq rapidement. Je sais que c’est mal de faire cette manipulation, ce n’est pas bien de se faire lobotomiser de la sorte. Je signe un pacte avec le diable. De toute façon je suis déjà endormi…
Edition spéciale ! C’est écrit en gros en haut de l’écran. Il y a des bandeaux partout sur l’écran. Putain ils nous demandent de lire en plus ! Faites votre travail convenablement, on ne demande qu’à croire à vos conneries orientées mais faites au moins l’effort de ne pas nous en faire faire. J’ai soif. Pas envie de faire le moindre effort pour lire tous les trucs qui défilent en bas de l’écran. Certainement un autre attentat. A force, ça lasse toute cette haine de l’autre, on s’habitue à l’horreur. Triste. Alors ? Qu’est-ce qu’ils ont à me dire cette fois ? J’espère au moins qu’il y a des morts. Faut faire vivre le spectacle, avoir du sensationnel pour accepter de se taper les dix minutes de publicité qui suivent. J’ai soif. Je me décide enfin de consentir à un effort terrible pour me trainer jusqu’à la cuisine et me servir un verre d’eau. C’est triste l’eau mais c’est ce qu’il y a de mieux dans mon état. Je regarde vite fait par la fenêtre de ma cuisine. Au deuxième étage on domine un peu le paysage. Il n’y a rien de beau à voir dans ma banlieue, j’aperçois le faisceau de la Tour Eiffel qui balaye le ciel noir. Ce n’est pas l’heure ni l’état pour faire un petit bilan de ma situation en plus je me suis laissé happer par le sensationnel et le sordide de mon écran. Va falloir assouvir mon vice de curiosité, pas différent des autres malgré ce que je pourrai croire. La même attirance pour le gore et le fait divers, ça entretient les conversations futiles en croyant mieux savoir que son interlocuteur parce que réellement informé. Bah oui ! Ils l’ont dit à la télé.
De retour sur mon canapé, l’eau m’a fait du bien, je n’ai même plus envie de dormir. J’attends gentiment de savoir pourquoi j’entends ! Générique anxiogène, musique qui claque dans le silence de l’immeuble. Yes ! Je vais enfin savoir, j’ai hâte de voir des images sensationnelles, des témoignages accablants remplis de sanglots ou de colères. C’est malsain, c’est humain… Edition spéciale : Arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès. C’est marqué en gros au travers de la télé, des lettres en relief et la mine grave du présentateur pour confirmer le fait. Comme un con, je suis content de la nouvelle. Comme tout le monde j’aime ce genre d’histoire, comme tout le monde j’aime quand ça se termine bien, comme tout je ne sais rien mais j’ai mon opinion, comme tout le monde j’y ai cru. Putain, vous m’aurez plus !

コメント