top of page
Rechercher

Jeunesse

  • Photo du rédacteur: Benoit Poisson
    Benoit Poisson
  • 11 févr. 2021
  • 3 min de lecture

La déprime aussi longue que la file d’attente, la jeunesse patiente. En silence et bien espacée de deux mètres, elle patiente. Faut dire qu’avec le ventre vide et les idées noires, l’envie de sortir du rang se fait moins pressante, moins vive. Ce n’est plus la fumée des cigarettes qui sort de sa bouche, de celles qu’elle partageait sur un bout de trottoir le verre à la main, les idées plus très claires mais le sourire plaqué aux lèvres et dans son coeur une perspective heureuse. Non, en ce début 2021 la buée nocturne et vaporeuse a remplacé cette fumée festive. Moins trois degrés et des heures qu’elle attend, en silence sans plainte parce que cette sortie c’est la seule de sa journée, la seule et unique possibilité d’élargir son champ de vision et de poser les yeux ailleurs que sur les murs blancs d’une chambre universitaire. Des perspectives il lui en manque, ça fait des mois qu’on l’enferme, qu’on la maltraite, qu’on la prive de sa vie et de sa fougue dont son esprit et son corps ont besoin. Aujourd’hui le futur de ce pays ce sont les vieux. Ça pour sûr on en prend soin, on les pique à coup de renforts médiatiques et on décompte quotidiennement ceux qui n’ont pas résisté. Un petit chiffre laconique qui ne veut plus rien dire. Et tous ces vieux, ne voudraient-ils pas que l’on se penche un peu plus sur cette jeunesse qui se meurt, en silence et de désespoir ?


La beauté d’un monde meilleur est pourtant entre ses mains, c’est elle qui a le pouvoir extraordinaire de nous offrir, à tous, des moments enchanteurs. Faut-il fermer les yeux et s’obstiner à ne voir que notre confort de l’instant, que notre situation, certes peu enviable, mais ô combien préférable et se priver de nos futurs médecins, ingénieurs, ouvriers, artistes et révolutionnaires géniaux ? L’esprit se renferme quand le ventre gargouille. L’envie s’évapore quand le corps tourne en rond. La soif de vivre s’envole quand la chaleur humaine n’est plus là, quand les corps ne se frôlent plus.


Mais elle reste digne et droite cette jeunesse accablée ! Loin des ors de la république qui gave ses parlementaires à outrance et jusqu’à la crise de foie. Elle patiente dans le froid sibérien d’un hiver qui en rappelle un autre, elle s’ankylose parce que la promesse de nourriture la pousse à attendre quitte à geler sur place. Son ticket de rationnement à elle c’est sa carte d’étudiant, son sésame pour qu’on lui donne une boîte de conserve, un chou-fleur et un sourire pour lui dire bon courage. La situation d’avant n’était pourtant pas radieuse mais des larmes nostalgiques coulent et se figent sur ses joues creuses.


Elle hésite même à rentrer, malgré le froid, malgré la vision d’un repas frugal. Elle se retrouve seule, enfermée dans sa joie de vivre perdue, dans son haletante envie de découverte et de partage que quelques monarques autoritaires ont su restreindre. Et sur son étagère, des boîtes de médicaments, comme pour faire semblant d’aller mieux et ne pas réfléchir. Toutes ces pilules qu’elle regarde avec envie comme une solution joyeuse, comme une délivrance.


Laisser mourir cette jeunesse c’est tuer l’humanité et dans le cœur de son bourreau ne reste que l’indifférence de son dédain.

Distribution de produits alimentaires par l'Afges, Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg, le 10 février 2021 (Crédits : Olivier Mirguet)


 
 
 

Comments


Copyright © 2019  Benoit Poisson, écrivain
  • Facebook
  • Instagram
  • Twitter - Black Circle
bottom of page