- Vous êtes pas de Paris !
Tranquillement attablé à une terrasse d’un petit restaurant du marché des Enfants Rouges, je savourais la douceur de vivre des lieux. Malgré une certaine agitation, les gens semblaient en prendre plein les yeux et les naseaux, véritable tour du monde gastronomique dans ce petit marché couvert. Tout se mélangeait dans un joyeux bordel. Les restaurants se succédaient sans réelle frontière. Le tajine embrassait le falafel et le burger taquinait la saucisse aveyronnaise dans une ambiance fraternelle sans aucune retenue, pas même celle dictée par un virus à la mode. Il n’y avait rien de guindé dans ce lieu, c’était parfait !
Papilles asséchées par la petite promenade « oberkampfienne », j’attendais gentiment mon pichet d’AOC du Mont-Ventoux. La conversation allait bon train et la compagnie était charmante. Nous débriefions notre pérégrination culturelle de la matinée. Bref, le tableau était parfait, aucune anicroche, pas même le léger vent d’octobre qui tentait de rafraichir l’ambiance.
Un homme, visiblement habitué des lieux, grand et élancé, la quarantaine confirmée depuis peu, long manteau noir, chemise, petite lunette et la chevelure qui ne mentait pas sur son âge, le look qui collait parfaitement au quartier plutôt aisé nous demanda gentiment du feu en nous montrant sa cigarette comme pour justifier son intervention. Un grand malheur s’abattit sur lui lorsqu’on lui annonça que nous ne fumions pas, c’est alors qu’il bondit sur la serveuse nous apportant notre Graal rouge grena prémices d’un bon repas. Cigarette allumée. Quelle était douce cette odeur de tabac frais qui volait jusqu’à moi, ancien fumeur. L’homme s’empara d’une chaise en métal d’une table voisine inoccupée. Sans plus de préséance il nous accompagna spontanément pour notre apéritif, lui avec sa bière locale et nous notre verre de soleil.
- Vous êtes pas de Paris ! Pas une once de dédain dans la voix.
- Pourquoi ? On a des têtes bizarres ?
Se rendant compte de l’étrangeté de la question il se confondit en excuses maladroites. Je souriais de la situation en ne lui en tenant pas rigueur.
- Non effectivement, je suis d’origine normande.
- Je suis moi-même de Brest. Il continuait à vouloir se justifier.
Lorsqu’un Breton et un Normand se rencontrent de quoi parlent-ils ? Non, pas d’alcool ! Mais d’un sujet ultra clivant au sujet d’un bout de cailloux entouré de sables mouvants visité par des millions de gens chaque année. Alors une bonne fois pour toute, le Mont Saint Michel est en Normandie ! Après tout si ça doit rendre les Bretons heureux, je veux bien admettre qu’il est Bretagne. J’ai toujours eu en horreur ce chauvinisme régional qui pense que « le crottin fait par nos chevaux, même en bois, rend jaloux tout le monde. ».
A vrai dire cette conversation semblait le faire rire. La dérision est signe d’intelligence et d’ouverture d’esprit. Nous avions affaire à un homme doué de ces qualités. Nous apprîmes par la suite que sa mère souhaitait le voir regagner son bout de monde et puis la conversation continua sur les caractéristiques culturelles et économiques de nos villes d’origine respective. Le pire dans tout ça c’est que j’ai dû recommander un second pichet de Mont-Ventoux pour tenir la conversation !
Les derniers mots furent prononcés lorsqu’on nous apporta nos plats. Il nous laissa à notre dégustation et parti entamer une nouvelle conversation avec une table voisine.
Sans cet échange le moment aurait été agréable, grâce à cette furtive mais sympathique rencontre il fut exquis.
Cette situation semble normale, des inconnus qui discutent ensemble de tout mais surtout de rien. Rien qui ne puisse entraver les liens sociaux, juste un moment naturel et convivial. Tout ce que détestent certains actuellement, les fanatiques de l'hygiène absolue et déshumanisante, les attiseurs de peurs, les obsédés de la division des peuples...
Par contre nous ne savons toujours pas pourquoi nous n’avions pas l’air de Parisiens ! Au final existe-t-il une différence physique en parisiens et Provinciaux ? Mystère…
