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Néo campagnard

  • Photo du rédacteur: Benoit Poisson
    Benoit Poisson
  • 15 mars 2021
  • 3 min de lecture

« T’es bien toi avec ton petit bout de terre ! Si j’avais le même, je me façonnerais un potager… »


Combien de fois le bobo parisien a lancé cette phrase mystique en rendant visite à son pote qui a migré dans les territoires loin de Paname ? Son envie de terre s’est accentuée avec la succession de confinements mais ça fait déjà pas mal de temps qu’il y pense et notamment quand il déjeune dans sa nouvelle cantine mexicaine et bio du 10ème arrondissement.


Il est planté sur le gazon, à 10 heures du mat, le croissant trempant dans le café chaud, il parle tout bas pour ne pas effrayer les faisans et les hérissons. « Non, vraiment t’es chanceux mon poto ». Alors son ami sourit intérieurement face aux envies de terroir, de retour aux sources et de faire honneur à l’art rural et au monde paysan. Ce même type qui prône la slow-life, les circuits courts et les produits bios se permet de donner une leçon de vie idéale à celui qui vient de se taper quinze bornes pour aller chercher ces putains de croissants !


Faut dire qu’il a un peu pris le temps de se renseigner le bougre. Pour peu il serait capable de faire la leçon aux agriculteurs du coin et de leur intimer l’ordre d’acheter des tracteurs électriques et de recycler le méthane bovin. Des idées, il en a à la pelle. Il monterait bien sa petite holding de potage et d’œuf frais, persuadé que son style de vie fantasmé conviendrait parfaitement aux gens du cru. Il avale bien des soupes à treize balles, assis sur un tabouret en pin massif de suède alors ici il se voit déjà en nabab de la carottes tordues et du poireau en aspic.


Le type se baisse, caresse l’herbe avec une méthode empirique bien à lui et inspire profondément en se redressant. Ça y est, il est déjà en transe cosmique. Il revoit ses ancêtres retournant la terre et ramasser les choux. C’est presque un devoir de mémoire, une transmission patrimoniale la sueur et les odeurs en moins. Il ne peut pas vivre le truc normalement, faut qu’il surjoue pour prouver qu’il est en phase avec les éléments, que la terre et lui c’est une évidence presque religieuse. Redescends mon ami c’est juste de la pelouse achetée chez Gamm Vert et traitée au Roundup. Il se voit déjà embrassant l’écorce d’un arbre mort et saluer les cloportes dans une harmonie hippie peu crédible.


Pour lui, tout ça, c’est authentique, l’essence même de l’existence loin des décos patinées à la va-vite des bistrots qu’il fréquente la semaine. Ce qu’il veut c’est son lopin de terre, planter deux salades et trois navets avec deux poules pondeuses pour ses brunchs du dimanche devant un replay de Silence ça pousse. Il pense même pouvoir vivre en autarcie avec son maigre panier. Paraitrait qu’on peut faire sa lessive avec du charbon de bois. Il se voit déjà en néo-rural, les bottes, la marinière et chapeau de paille faussement défraichi, en idylle publicitaire pour la Vie Claire, sans penser une seconde aux ongles noircis et aux mains calleuses. Lui, c’est le paysan propre sur lui, érudit avec un sens de l’esthétique bien urbain qui sent le maté plutôt que la gnole et qui s’insurge contre la faim dans le monde plutôt que contre les nuisibles qui viennent saccager les récoltes.


Alors pour faire le gars bien adopté par le milieu, il se lance dans des monologues en incluant les thermes permaculture et écoresponsable bien loin de la réalité du terrain et des ploucs autochtones. Non vraiment, s’il avait un bout de terre, il y ferait des merveilles authentiques. Son croissant avalé, il pense déjà à repartir pas trop tard, juste après le repas, pour éviter les bouchons et puis il y a ce reportage sur ces français qui ont sauté le pas et sont venus vivre à la campagne qu’il ne veut pas rater. Mais il reviendra, c’est sûr.


Sait-il au moins qu’on se fait terriblement chier à la campagne ? Que son SUV allemand va morfler sur les routes défoncées ? Que son monoprix du coin de rue qui ferme à 23 heures, ici il sera à vingt bornes et fermera à 19 heures ? Que la galerie d’art contemporain il va devoir vite l’oublier ? Que la campagne ce n’est pas juste le weekend mais toute l’année ? Que les jeunes d’ici ne rêvent que de partir ?



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