Pandémie
- Benoit Poisson
- 10 nov. 2020
- 2 min de lecture
Elle rend fou cette petite notion qui s’introduit insidieusement en nous. Un goutte-à-goutte quotidien, à dose infinitésimale, juste pour que l’on s’habitue lentement et qu’elle devienne nécessaire et acceptable. Une petite remarque anodine en soirée, comme ça, juste pour faire rire l’assemblée. La réplique volontairement choquante mais sans chercher à blesser. Tout ça finit par rentrer gentiment dans l’ordinaire, placé dans l’habitude, ordonné dans la coutume. L’inacceptable et l’abject domestiqués lentement pour forger la pensée unique, jusqu’où ? Façonner l’esprit, le modeler jusqu’à l’acceptation et l’obéissance pour servir qui ? Pour honorer quelle cause ? Le sang plus rouge que l’autre, les vérités plus essentielles jusqu’à l’existence plus nécessaire. On y place de bons mots, de grandes idées, de la culture immortelle et surtout pas de brassage, non, aucun mélange, l’entre soit jusqu’à crever de consanguinité avec la certitude d’être pur. Et puis on organise la dictature de l’indignation, on ordonne de s’émouvoir en oubliant que de tout temps l’Homme est pourri. L’enfer c’est les autres, les autres montrés d’un doigt accusateur, d’un doigt qui tremble de peur et les yeux effrayés de découvrir l’inconnu, celui qui ne nous ressemble pas. Et si nous avons peur, si nous sommes malheureux, le désigner nous rassure et nous offre la possibilité de mettre un visage sur nos maux sans chercher une vérité pourtant évidente. Oui, il est bien plus simple d’accuser autrui de nos problèmes, de notre manque cruel de tolérance et d’ouverture. À s’entendre dire constamment que l’autre est forcément fautif on finit par y croire, même les plus sceptiques, que nos racines sont ici, nos belles racines tortueuses qui jamais ne voient le jour, cette obscurité du passé capable par amour de nous aspirer dans le néant de l’ignorance, de retenir notre envol et nos envies de rencontres. Ah qu’elle est douce la faiblesse de succomber dans la facilité, de se vautrer dans notre arrogance sans y réfléchir ! La supériorité de l’individu sur l’autre mais la sagesse en moins. La maladie n’est pas forcément celle que l’on croit, celle que l’on sent, celle qui fait tousser. Il y a bien plus grave que cette pandémie dont on se sortira un jour, comme nous l’avons déjà fait des dizaines de fois. Il y a ce mal encore plus fourbe, qui nous fait baisser la tête, nous fait admettre ce qui ne devrait pas, nous rend docile à l’inacceptable. Cette pandémie court plus vite que n’importe quelle autre, creuse plus profondément les sillons de nos séparations et attise les appétits féroces de domination. Et si nous faisions en sorte que l’union soit notre force ?

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