Utopie
- Benoit Poisson
- 16 mai 2020
- 2 min de lecture
J’aurais pu parfaitement résumer la situation en citant ce cher Villon : « Frères humains qui après nous vivez n'ayez les cœurs contre nous endurcis… » C’est beau et c’est vrai, maintenant je le sais. Au lycée, on ne sait pas encore comment c’est remarquable, comment c’est juste. On nous demande d’analyser le texte mais pas de le ressentir. Le rationnel plutôt que l’émotionnel. On subit les mots, on nous impose les idées. Faut-il que tous ces professeurs soient immortels pour avoir été les contemporains de ce poète et comprendre son message ?
En fait, depuis toujours on subit tout, on se laisse faire sous prétexte d’une normalité dictée pour le vivre ensemble. Doit-on se contenter des cases exiguës aux parois glissantes dans lesquelles on nous enferme ? Sous le sceau de la démocratie et de la justice on nous offre notre liberté. Vingt ans pour nous façonner, quarante pour financer la lobotomisation de notre progéniture et la fin de vie de nos aînés. Huit heures par jour, cinq jours par semaine, produire, produire, produire. L’été à Argeles à s’entasser sur le sable chaud en se gavant de glaces à l’italienne, l’hiver aux Ménuires à attendre son tour pour grimper tout en haut, là où on respire mieux.
On nous offre ce qu’ils nous laissent, on gobe sans réfléchir, fatigués de faire semblant d’être ce qu’on déteste. On échafaude des théories, on en lance des critiques. Tout ça on sait faire, gueuler sur le canapé acheté à crédit un samedi après-midi. En regardant BFM finalement on se dit qu’il y a pire que nous alors pour rire à la connerie on zappe sur Hanouna. Sûr que lui saura nous faire oublier quelques minutes notre situation. Il a le don de nous faire passer pour intelligent.
Alors pardon frères humains qui après nous vivez. Pardon n’avoir pas su ouvrir les yeux sur la condition humaine. Pardon mais on nous a demandé de consommer, de détruire, de tuer, de piller, de nous diviser. Pardon mais ce canapé est vraiment confortable. Si vous l’aviez essayé, c’est certain que comme nous, vous ne vous seriez pas levés. Pardon d’avoir laissé faire, d’avoir regardé nos vies s’enfuir dans l’écran d’une machine avilissante. Pardon de nous être indignés quand on nous l’a demandé et se taire le reste du temps. On savait, on voyait, on faisait disparaitre ceux qui essayaient de nous le dire. Mais vraiment, ce canapé est tellement moelleux.
L’utopie est un si doux mot mais une trop dure réalité. Tant pis, débrouillez-vous et sans rancune !

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